On savait que ce serait intense, on nous l’avait dit.
Avant, on voyait ces parents au regard vide, ces gens qui disaient « oui, c’est épuisant, mais ça en vaut la peine » avec un sourire un peu flou. On hochait la tête, sceptique.
Et puis, un jour, on comprend.
Les journées sont longues, mais elles ne nous appartiennent plus. Chaque minute est absorbée par un petit être qui réclame tout, sans attendre, sans négociation.
Il y a les réveils nocturnes, plus rares qu’avant, mais toujours là, imprévisibles.
Il y a ces fièvres qui s’invitent sans prévenir, ces nuits passées à scruter un front brûlant, à compter les heures entre deux doses de Perdolan, à écouter une respiration un peu trop sifflante en se demandant si c’est grave.
Il y a les jours où la fatigue s’accumule en strates invisibles, où l’on enchaîne les tâches mécaniquement, un pied dans le réel, l’autre dans une somnolence perpétuelle.
Et il y a surtout cette présence qu’on ne peut pas lâcher. Une pièce trop vide, un pas trop loin, et c’est le drame. Impossible de s’éclipser, de disparaître ne serait-ce qu’une minute sans voir ces petits yeux s’embuer, sans entendre cette détresse absolue, déchirante, qui nous cloue sur place.
Alors on reste.
Parce que la séparation, même pour quelques secondes, est une déchirure qu’on n’a pas le cœur d’imposer.
On ajuste tout, on s’adapte, on devient maître dans l’art de tout faire d’une seule main, de manger avec un bébé sur les genoux, de répondre à un message en jouant avec une peluche, de repousser l’idée même d’avoir du temps pour soi.
On croit qu’on ne tiendra pas. Que la fatigue va nous briser en deux.
Et pourtant…
Il y a l’autre côté.
Il y a ce regard.
Ce regard qui nous cherche, nous trouve, s’accroche à nous. Ces grands yeux qui nous transpercent, qui nous disent, sans un mot, qu’on est tout. Tout son monde, tout son réconfort, tout ce qui compte.
Il y a ces mains minuscules qui nous agrippent avec la force d’un amour absolu. Ce poids minuscule contre notre torse, cette chaleur qui diffuse un sentiment de plénitude qu’on n’a jamais connu ailleurs.
Il y a ces rires, ces rires démesurés, éclatants, qui explosent comme un feu d’artifice en plein cœur.
Et alors tout s’équilibre. Ou tout bascule.
On sait qu’on est fatigué, qu’on aimerait souffler. Mais on sait aussi que ces jours, ces nuits, ces bras qui ne veulent pas nous lâcher, finiront par nous manquer.
On comprend que ces jours et ces nuits, aussi longs, aussi éprouvants soient-ils, on voudra un jour les revivre. Juste une fois. Juste un instant.
Alors on continue. Pas toujours avec entrain, mais toujours avec amour.
Parce qu’au fond, c’est ça, l’histoire.
On se souvient de ces parents épuisés qui nous disaient ça en vaut la peine. On se souvient qu’on avait du mal à les croire.
Et on comprend enfin.
On donne tout, et on reçoit plus encore.
Le Muuch.